1- Est-ce que l’art a un genre?
Pour une artiste féministe, l’art a un genre, et depuis les années 70, un large mouvement s’est développé pour affirmer et défendre la spécificité de l’art des femmes artistes. J’ai ainsi participé à des manifestations réservées exclusivement à la production artistique des femmes qui mettaient en lumière des thématiques, des styles et des concepts jamais abordés dans une production artistique dominante et masculine. Je pourrais donner comme exemple le thème de l’intime qui, en s’appuyant sur des critères spécifiquement féminins, s’est imposé de façon originale au regard de la critique artistique. Dans les temps précédents, le marché de l’art n’accordait que peu d’intérêt au travail des femmes artistes, et seulement dans la mesure où elles s’inscrivaient dans la référence à l’art masculin.
2- Quels sont vos défis en tant qu’artiste, femme et francophone ?
Curieusement le plus grand défi que j’ai eu à affronter en tant qu’artiste, est celui de ma transplantation au Canada, comme artiste immigrée. Je ne soupçonnais pas à quel point j’aller devoir me réinventer artistiquement; j’ai tout simplement dû repartir à zéro et reconstruire mon projet artistique.
Il est vrai que mon travail était totalement inconnu sur la scène artistique torontoise et canadienne. Pourtant mes réalisations artistiques en français avaient fait le tour du monde, en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique latine et en Asie.
J’en avais déduit la notion simple et basique que l’art était universel, et que, quelque soit le langage parlé, ce n’était pas un obstacle à sa diffusion. La situation minoritaire de la francophonie à Toronto a mis un terme à cette fausse impression.
J’ai alors découvert les nouvelles règles du jeu et j’ai très vite compris qu’elles étaient en fait un atout pour développer mon travail artistique :
– un milieu de l’art autogéré par les artistes et les pairs et l’absence du « Fait du Prince », un héritage des pratiques centenaires du mécénat d’état, qui caractérise avec ses biais le milieu de l’art et l’art officiel en Europe
– le soutien graduel et financier des pouvoirs publics
– un statut économique reconnu à l’artiste et l’affirmation de son rôle à renforcer le lien social dans la société. Un coup de pouce donné à la femme artiste. J’ai très vite compris que mon passé artistique n’était pas recherché sur la scène torontoise, mais que pour pouvoir continuer à exister et diffuser mon travail, je devais produire des travaux originaux, sans dépasser le délai de 2 ans depuis la création de l’œuvre. Cela m’a servi d’incitatif et d’encouragement à la production.
3- La résilience en temps de Covid-19, cela ressemble à quoi pour vous ?
Peut-on parler d’au-delà de la résilience? c’est pourtant l’expérience que j’ai vécue. En pleine pandémie, il y a quelques mois, j’ai eu un malencontreux accident qui m’a plongé dans un double confinement, celui du Covid-19 et celui qui me force à rester cloîtrée à la maison, pour cause de mobilité réduite. Mon vécu s’en est trouvé bouleversé ainsi que le questionnement sur mes objectifs et convictions. Auparavant mon activité artistique avait influencé ma résilience personnelle sur le mode créatif.
En juin 2020, j’avais participé à une Jam session de création d’une interface textile pour jeu video, organisée par le centre d’artistes Dames Making Games ( DMG.to) – dont je suis membre – en partenariat avec l’OCAD . La totalité de l’opération s’est passée en visioconférence, de l’apprentissage de la technique à la réalisation finale, et dans un temps réduit d’une semaine1/2.
On sait que le confinement avait favorisé la vie sauvage sous toutes ses formes. J’avais alors découvert les trésors cachés de mon jardin d’arrière-court, avec sa multitude d’oiseaux dont j’avais pris soin d’enregistrer les chants.Pour mon projet, j’ai choisi de créer une manette de jeu video, en matériaux textiles, qui permettait de composer et jouer les chants d’oiseaux. Voir la démo sur ma chaîne Youtube : https://youtu.be/rfMO2bXbNQQ
4- Si vous aviez une seule question à poser à une créatrice ce serait laquelle ?
Comme nous l’apprend la pandémie, les évènements de la vie, pour nous artistes, peuvent avoir une incidence sur nos projets créatifs:
– doit-on ignorer ces évènements et poursuivre coûte que coûte notre démarche artistique?
– doit-on s’en servir pour infléchir en quelque sorte notre activité?
– doit-on en profiter pour tout remettre en question et explorer d’autres voies plus aventureuses?
Propos recueillis par Cynthia-Laure Etom