Carte blanche d’écriture

Par Ophélie Pichon

Camilla Bouchet est une artiste ayant été bercée dans son enfance par le cinéma suédois, puis des films de Léos Carax, de François Truffaut, de Kieślowski ou plus tard en découvrant le nouveau cinéma québécois avec Stéphane Lafleur, Maxime Giroux ou Xavier Dolan. Mais aussi dans le regard de réalisatrice française comme Valérie Donzelli, Justine Triet et Sophie Letourneur: “ au début de leurs carrières, elles ont prouvé qu´il était possible de filmer des histoires intimes avec des mini-caméras, des budgets minimalistes, en faisant jouer leurs proches et en portant plusieurs casquettes à la fois.“ Pour la Vie de Julia, Camilla filmera ses enfants, sa sœur dans des moments du quotidien, et sera parfois contrainte de filmer des scènes rapidement, voulant amener un certain caractère et une authenticité simple au film.

Ayant fait des études en lettres modernes et d’anglais à Paris (France), elle étudie aussi la danse et le théâtre avant de travailler comme comédienne, danseuse, assistante à la mise en scène et traductrice de pièces de théâtre. “Pour la Vie de Julia, Truffaut était très présent dans un coin de ma tête, ainsi que la liberté créative de Godard, la musique électronique française et les peintres Félix Vallotton et Jules Bastien-Lepage. “

Lorsque Camilla démarre un projet, elle se laisse une totale liberté d’exploration, réfléchissant autant sur la part de fiction que de réel, utilisant son téléphone portable, enregistrant des conversations avec son Zoom H4N Pro, récoltant des moments de vie qui pourront l’inspirer et lui servir, tout en lisant et regardant le travail d’autres cinéastes. Elle me confie que c’est un besoin vital d’être au quotidien dans un processus créatif, restant ouverte à l’imprévisible.

Son film la Vie de Julia, son arrière-grand-mère paternel, aura mis plusieurs années avant d’exister, le projet ayant évolué au fur et à mesure de deux ans et demi de maturation. Partant d’un scénario fiction concentré sur Julia, et tissé par les récits qu’elle avait entendus dans son enfance. Elle décide après un an et des trouvailles émouvantes dans les archives du Mans et de la Roche sur Yon en France, de réaliser le scénario liant documentaire et fiction. Archives regroupant 250 pages de documents issus de l’Assistance Publique sur son grand-père et sa sœur, incluant des échanges épistolaires entre les deux enfants.

“À l’origine, je voulais vraiment rendre justice à Julia et à ses enfants, et réunir de manière symbolique une famille qui n’avait jamais eu la possibilité d’en être une. […] Cela me peinait que personne dans ma famille ne sache comment Julia était morte, ni pourquoi elle avait abandonné ses enfants. Je ne pensais vraiment pas pouvoir trouver des réponses à cette histoire qui remontait si loin dans le temps.” Une étude de l’époque lui a permit de mieux comprendre ce que Julia a vécu. Domestique au début du XXe siècle, étant au service de ses employeurs, ne disposant pas de son corps et pour qui la maternité était incompatible avec le travail.

Camilla me confie dans notre échange “Je voulais également honorer cette scène de cinéma avec mon père dans les Violons du Bal, où l’on sent toute la douleur du réalisateur Michel Drach par rapport à son passé familial, mais également celle de mon père. “

En ce qui concerne le rôle du spectateur, Camilla nous fait partager la perspective de son expérience personnelle, créant ainsi l’histoire progressivement, comme si c’était une partie de notre propre histoire, tout en préservant certains éléments personnels pour soi. “Ce que j’ai appris, c’est que la partie fictive est aussi importante que la partie documentaire. On n’a qu’un aperçu partiel de la vérité, et pour moi, l’imaginaire est aussi riche en information que les archives.”  


Ce texte a été composé dans le cadre du partenariat du Labo et du festival CinéFranco qui présente les films de 6 cinéastes francophones du Labo dans la catégorie Court-Toujours.