SCOTIABANK CONTACT PHOTOGRAPHY FESTIVAL FEATURED EXHIBITION

Utatsu, Japon, 2012. Pont brisé par le tsunami. Tiré d'un travail sur la réhabilitation après le tsunami à Tohoku./ Utatsu, Japan, 2012. Remains of a bridge damaged by tsunami. From a series on pots-tsunami Tohoku.
Utatsu, Japon, 2012. Pont brisé par le tsunami. Tiré d’un travail sur l’impact du tsunami à Tohoku.

Causerie d’artiste
Modérée par Aurélie Lacouchie
Jeudi 5 mai 2016, 18h – 19h

Vernissage
Jeudi 5 mai 2016, 19h – 21h

Exposition
5 mai – 12 juin 2016

GRATUIT ET OUVERT À TOUS

Campbell House Museum
160 Queen St. West Toronto, ON M5H 3H3
Une co-présentation du Labo et du Campbell House Museum (Maison Campbell)

Horaires de la galerie :
Mardi à Vendredi, 9h30-16h30; samedi et dimanche, 12h-16h30.

Post Tohoku – L’esprit des lieux

Guylaine Tousignant

« Nous regardons la même lune du même monde.

Nous sommes biens reliés par le même fil à la réalité.

Je n’ai qu’à le tirer doucement à moi. »

Haruki Murakami

Les amants du Spoutnik

On dit que la notion d’impermanence est gravée profondément dans l’esprit des Japonais. C’est ce qu’ils nomment le « mujô ». Tout ce qui naît meurt et tout ce qui existe change continuellement. Tout est de passage. C’est comme ça.

Mais puisque cette idée de temporalité est ancrée dans des traditions millénaires influencées à la fois par le shintoïsme et le bouddhisme, les Japonais acceptent et accueillent avec ce qu’on pourrait qualifier de sérénité cette impermanence au lieu d’être rongé par elle. Ce qui meurt renaît. Ce qui est détruit est à mieux reconstruire.

C’est peut-être cette sérénité face à l’éphémère qui explique la relation courageuse qu’entretiennent les Japonais avec leur territoire agité. L’archipel nippon se situe sur quatre grandes plaques tectoniques qui se rencontrent et entrent en collision. Les tremblements de terre font partie du quotidien de la vie sur ces îles vaporeuses. Après chaque désastre, comme le dit si bien l’artiste Michel Huneault, il faut « renégocier sa tranquillité d’esprit » avec une géographie en constant tourment. Et même si la vie est éphémère, cette renégociation prend du temps et passe par des hauts et des bas.

Le 11 mars 2011, le Japon est frappé par l’un des plus importants désastres de son histoire. Un séisme sous-marin d’une magnitude de 9,0 secoue le pays pendant six minutes. Moins d’une heure après, la première de plusieurs vagues d’un tsunami frappe la côte nord-est de la région de Tohoku. De gigantesques vagues, certaines dépassant les 20 mètres, inondent le littoral de l’archipel jusqu’à 10 km à l’intérieur des terres. 15 894 personnes perdent la vie, 6152 sont blessées et 2562 sont portées disparues. Plus d’un million d’édifices sont complètement détruits ou endommagés. Plus de 300 000 Japonais se retrouvent du jour au lendemain sans toit. Dans les heures suivantes, trois réacteurs de la centrale nucléaire de Fukushima explosent. Tous les habitants vivant dans une zone d’environ 20 km autour de la centrale doivent évacuer leur maison.

Au printemps 2012, un an après la tragédie, Michel Huneault se rend sur la côte pacifique de Tohoku. Il y effectue un retour en début 2016. Il planifie déjà y retourner. Ses voyages en territoire nippon lui permettent de documenter en image et en son les dommages causés par la triple catastrophe et l’évolution de la renégociation des Japonais avec leur territoire, une renégociation complexe et en mouvance.

Lorsqu’on se trouve à l’autre bout du monde, on a souvent l’impression que la durée d’une catastrophe se limite à sa couverture médiatique. Il y a la première histoire qui sort et qui bouleverse, qui fait parler, suivie d’une répétition des mêmes images au fil des heures et des jours qui suivent, puis de la disparition graduelle de ces images jusqu’à ce que le souvenir de la tragédie s’effrite. L’ampleur du moment présent se situe au cœur de cette démarche et fait partie du rythme de nos vies. Si le temps passe, il faut faire vite pour l’attraper.

Dans son travail, Michel Huneault adopte une démarche qui en quelque sorte défie l’empressement. Son projet Post Tohoku s’insère dans une série de projets qui cherchent à documenter le passage du temps à la suite d’un traumatisme géographique et humain afin de mieux saisir les subtilités et les courbes de son évolution. C’est une démarche humaniste, humble et essentielle qui contribue à diversifier les points de vue et qui d’une certaine manière fait partie du lent et périlleux chemin de la réhabilitation. L’artiste a passé des mois sur la côte nord-est du Japon, s’en est éloignée à plusieurs reprises pour réfléchir, laisser les gens et les lieux respirer, mieux y revenir. Parfois, il faut prendre son temps, même si cela prend toute une vie.

C’est un travail de longue haleine qui s’accompagne aussi d’un sens de la responsabilité face à la représentation. C’est une responsabilité que Michel Huneault prend au sérieux puisque les images contribuent aux représentations mentales que nous nous faisons de notre espace ou de l’espace des autres. Les gens qui vivent une tragédie doivent se reconnaître dans ses représentations tout comme le public qui en témoigne. Les images traduisent alors l’esprit des lieux et par ce fait créent un lieu commun où nous pouvons nous rencontrer pour mieux comprendre et saisir le monde dans lequel nous vivons, malgré les distances géographiques et culturelles qui nous séparent. Comme l’exprime l’artiste, un travail bien fait, un travail intelligent, quel que soit le sujet, peut nous faire vivre une expérience qui touche l’universel en nous. Et c’est à ces moments que nos imaginaires collectifs se rejoignent.

À Tohoku, cinq ans après la tragédie, il y a des signes de renouveau. À certains endroits, des villages tout neuf sont érigés, souvent un peu plus en hauteur. D’autres communautés se bâtissent des plans d’avenir qui les amènent ailleurs. Les pêcheurs reprennent leur travail, même si à certains endroits, l’infrastructure n’est pas complètement reconstruite.

À Tohoku, Il y a aussi des endroits dévastés qui sont restés figés dans le temps et qui demeurent abandonnés, des écoles détruites où des étudiants et professeurs ont perdu la vie, un père qui tient une photo de son fils décédé le 11 mars 2011 à l’école d’Okawa. Il y a des mausolées qui rappellent ce qui n’est plus et qui donnent un sens au passé pour mieux envisager l’avenir.

Il y a les débats, la menace invisible, le grand flou. Il y a des villageois qui ne s’entendent pas sur la manière de reconstruire l’avenir, des citoyens qui s’opposent aux décisions de leur gouvernement.

Il y a sur la côte de Tohoku de nouveaux murs de protection tout en béton, beaucoup plus haut que ceux qui y étaient avant et qui n’ont pas su résister à la force des vagues.

À Tohoku, comme ailleurs, il y a les vagues de la vie qui sans cesse avancent et reculent, le cri des oiseaux dans le vent et le passage du temps qui hante et définit l’esprit des lieux.

 

À propos de l’exposition :


Le 11 mars 2011, la région de Tohoku, située sur la côte Pacifique du Japon, a été dévastée par une triple catastrophe : un tremblement de terre, un tsunami et un accident nucléaire. Il y a eu plus de 15 800 morts, 6 100 blessés, 2 600 disparus, et 128 000 bâtiments détruits. Comment vivre à proximité ou au sein d’un paysage si désolé, un an après les événements et au cours des années à venir ? Comment peut-on décrire les effets à long terme d’une telle catastrophe afin de comprendre et d’aller de l’avant ? Est-ce que Tohoku se reconstruira tant physiquement que dans nos esprits ?

En 2012, quatorze mois après les événements, Michel Huneault s’est rendu à Tohoku avec toutes ces questions en tête, partageant son temps entre le bénévolat pour des projets de réhabilitation et la documentation de son expérience par le biais de photographies et de vidéos. Fin 2015 et début 2016, près de cinq ans après le tsunami, Michel Huneault a de nouveau parcouru les 250 kilomètres de la côte japonaise – de Fukushima à Kesennuma – en pensant qu’une vision qui se développe sur une période de temps plus longue est essentielle pour appréhender les subtilités de l’évolution des traumatismes et de la réadaptation, et comprendre comment un territoire écorché et sa population peuvent se re-négocier à un avenir commun.

Post Tohoku – au carrefour de la photographie documentaire et des formes plus contemporaines d’art visuel – s’inscrit dans l’engagement à long terme d’Huneault, qui observe comment les communautés font face à des traumatismes d’une telle ampleur. Ce travail cyclique comprend son projet consacré à Lac-Mégantic, qui a remporté le Prix des lectures de Portfolios du festival CONTACT en 2014 et le Prix Dorothea Lange – Paul Taylor en 2015. Post Tohoku a reçu le soutien généreux du Conseil des Arts du Canada et du Centre Sagamie.

 

À propos de l’artiste :


Avant de se dédier à la photographie en 2008, Michel Huneault a travaillé en développement international, une carrière qui l’a mené dans une vingtaine de pays, dont une année entière en Afghanistan, à Kandahar. Il détient un M.A. en Études latino- américaines de l’Université de Californie à Berkeley où il fut un Rotary World Peace Fellow, étudiant le rôle de la mémoire collective suite à un traumatisme de grande ampleur. À Berkeley, il a également été l’élève et l’assistant-professeur du photographe Gilles Peress, membre de l’agence Magnum. Il a ensuite été son apprenti à New York. Aujourd’hui sa pratique se concentre sur les problématiques liées au développement, aux traumatismes personnels et collectifs et aux géographies complexes.­ Début 2016, il a co-reçu la bourse R. James Travers en journalisme international afin de continuer son travail sur les enjeux migratoires. Michel vit à Montréal.